Agriculture itinérante :
une stratégie de gestion des ressources pour les tropiques.
 


A – Les sols tropicaux et leurs spécificités.
 
On définit la zone tropicale humide comme une région présentant les caractéristiques suivantes :
  1.       Les températures moyennes mensuelles sont toujours supérieures à 18°C,
  2.       pendant la période végétative, les températures quotidiennes moyennes sont supérieures à 20°C,
  3.       la période végétative s'étend sur plus de 180 jours.
  4.       Forêt : la végétation naturelle de la zone tropicale humide est la forêt. II existe deux types principaux de forêts: la forêt dense, et la forêt claire (Hadly et Lanly 1983). La forêt dense est présente là où les précipitations annuelles moyennes sont supérieures à 1600 millimètres. Elle présente une voûte continue, est étagée, et la végétation de sous-bois est normalement abondante. Selon les régions, elle peut être composée de feuillus, de conifères ou de bambous. La composition de sa flore est variable, mais chaque type est adapté à des conditions climatiques analogues: précipitations abondantes et températures élevées (Hadly et Lanly 1983; Richards 1973).
  5.        Là où la pluviométrie est comprise entre 1200 et 1600 millimètres, le couvert naturel peut être plus ou moins dense, selon la durée de la saison sèche, les sols, etc. (OTA 1984). On trouve des forêts claires lorsque la pluviométrie est comprise entre 900 et 1200 millimètres, dans les régions plus sèches que celles qui portent une forêt dense. La forêt claire, ou ouverte, est du type mixte, alliant les arbres et les herbages. La voûte forestière est discontinue, mais couvre plus de 10% de la surface du sol.
Laissés intacts, les écosystèmes forestiers tropicaux sont stables.
Cette stabilité résulte de leur capacité de s'accommoder des accidents, climatiques et autres (Richards 1977:230).


 Diverses caractéristiques de la forêt tropicale concourent à cela :
  1.        La forêt tropicale humide est riche en espèces végétales et animales. C'est ce degré élevé de diversité génétique qui assure la stabilité de l'écosystème forestier.
  2.        Les forêts tropicales sont les écosystèmes terrestres les plus complexes qui existent (Connell 1978). Végétaux et animaux sont intimement liés au sein de l'écosystème forestier tropical. En ce qui concerne la dissémination des graines et la pollinisation, les animaux assurent la même fonction que le vent dans la forêt tempérée (Hadly et Lanly 1983:5). Etant donné que la forêt tropicale présente des espèces beaucoup plus diversifiées, et que les animaux se déplacent dans un petit périmètre, la régénération et l'entretien de la diversité locale sont assurés.
  3.         Les sols tropicaux étant en général pauvres en nutriments, l'écosystème forestier tropical repose sur un cycle des nutriments, auto-entretenu, quasiment fermé. Le cycle nutritif se caractérise par le mouvement des nutriments au sein de la biomasse, qui a une fonction de stockage végétatif. 65% à 85% du système racinaire ne descendant pas au-dessous de la couche superficielle du sol, la forêt elle-même fonctionne comme une sorte d'éponge géante, qui absorberait et recyclerait les nutriments (Hadly et Lanly 1983; Uhl 1983; Moran 1981).
  4.         Les études consacrées à l'Amazonie ont montré l'importance du tapis racinaire des arbres dans le cycle des nutriments. Cette masse fibreuse, composée des radicules des arbres entremêlées de matière organique et de champignons mycorhiziens, recouvre le sol et constitue la litière forestière. Lorsque les feuilles, les ramilles, voire les arbres entiers tombent sur ce tapis et commencent à se décomposer, cette couche superficielle absorbe les nutriments dissous avant qu'ils ne puissent être lessivés vers le sol (Stark et Jordan 1978). Comme 10 à 20% de la biomasse totale meurt et tombe au sol chaque année, la quantité de nutriments recyclés par le système est importante (Moran 1981).
  5.        Ce système est d'une efficacité telle que «la concentration de certains nutriments dans les cours d'eau qui drainent la forêt est en fait inférieure à leur concentration dans les pluies qui l'arrosent» (Uhl 1983:70). Dans la forêt, non seulement les arbres mais aussi d'autres plantes ont acquis une moindre dépendance vis-à-vis du sol : les épiphytes, qui vivent sur les feuilles des arbres, sont capables de tirer les nutriments de l'eau de pluie et de fixer l'azote de l'air (Uhl 1983). La forêt est donc un écosystème qui, une fois constitué, s'auto-entretient pour autant que la pluie continue à l'arroser et qu'on le laisse intact.
  6.        Pourtant la forêt, aussi stable soit-elle, n'est pas un milieu statique. La chute naturelle des arbres fait partie du processus d'auto-entretien de la forêt. La forêt tropicale n'est pas une forêt vieillie, elle est un lieu de changement et de renouvellement constants, grâce au vent et à la chute des arbres. L'arbre qui tombe ouvre un interstice dans la voûte, et une tache de lumière solaire peut ainsi atteindre le tapis forestier. Plus grande est cette ouverture, plus étendu sera le micro-climat ainsi créé, et plus variées seront les espèces végétales qui pourront se développer dans le créneau ainsi ouvert. Dans un écosystème où les nutriments sont emmagasinés dans la biomasse, la chute d'un arbre par demi-hectare et par an assure un surcroît notable de nutriments disponibles (Hadly et Lanly 1983; Uhl 1983, Hartshorn 1978; Whitmore 1978).
Lorsqu'une ouverture s'est produite naturellement avec la chute d'un arbre ou après ouverture d'une petite éclaircie (d'une superficie de moins de trois hectares), il se produit quatre axes principaux de régénération de l’écosystème :
  1.       Croissance rapide des pousses et des jeunes sujets présents dans le sous-étage ombragé à la périphérie de l'éclaircie, qui réagissent rapidement lorsque la lumière solaire leur parvient;
  2.      Régénération des plantes à partir des tiges ou des racines des arbres endommagés;
  3.      Germination de graines d'espèces pionnières à croissance rapide qui, en attendant que la lumière leurs parviennent, sont en dormance dans le sol superficiel;
  4.      Introduction de graines en provenance de la zone environnante. Les graines d'essences forestières sont le plus souvent trop grosses pour être facilement dispersées; elles tombent en général au sol. Mais les graines des espèces pionnières peuvent être véhiculées par divers animaux, oiseaux ou chauves-souris (Janzen 1973, 1975) ou par le vent. Cela signifie que l'ouverture sera d'abord colonisée par des espèces pionnières, qui pourront ensuite être remplacées, par succession, par des essences forestières (Uhl 1983).
Les Sols :
Quoique les sols de la zone tropicale humide puissent présenter une grande diversité, ils manquent pour la plupart de nutriments (Jordan 1985). Dans la zone tropicale humide d'Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amazonie, les problèmes posés par le déficit en phosphore, la toxicité due à l'aluminium, la faible résistance à la sécheresse, et la faible fertilité inhérente sont courants et bien connus (Sanchez 1987; Lal 1989; Moorman et Kang 1978). La pluviométrie est le facteur qui semble être à l'origine de la médiocrité des sols de la région, car dès que les précipitations dépassent 1000 millimètres, on constate que les sols sont habituellement acidifiés et lessivés (Sanchez 1987).
 
Les carences en nutriments présentées par les sols tropicaux sont le principal facteur limitant la productivité. Certes ces sols «vieillis, usés par les phénomènes atmosphériques et excessivement lessivés» portent une forêt tropicale humide, mais celle-ci ne dépend pas d'eux pour satisfaire ses besoins en nutriments (Lal 1987:16). Au contraire, l'écosystème forestier tropical s'abstrait du sol et crée son propre cycle de nutriments, qui repose sur sa propre biomasse.
Par contre, les zones tropicales situées sur des terres volcaniques, bénéficient elles, de conditions particulières. En effet, L’échange dynamique entre la silice et le charbon les sols volcaniques, sont réputés être très fertiles, cela est dû à la fonction paramagnétique de la silice contenue dans l’argile, qui stimule les molécules du vivant, d’où une bonne croissance des plantes.
 
B – Les effets des méthodes de déboisement, des cultures et des routes sur l’écoulement de surface et l’érosion des sols.

 
Si l’écosystème forestier est rompu, le sol perd ses nutriments et sa structure physique est affaiblie. Même si la forêt tropicale n'était pas dépendante du sol pour son approvisionnement en nutriments, les racines des arbres exerçaient une fonction fixatrice et permettaient l'infiltration de l'eau, tandis que la litière forestière protégeait le substrat de la pluie (Goudie 1984). Une fois cette litière forestière enlevée, le sol devient sensible au phénomène de compactage, il perd ses propriétés de rétention de l'eau, et ne peut plus abriter une macro-faune importante (vers de terre et termites), qui lui apportait des nutriments et en améliorait la structure physique (Lal 1987). Avec la déforestation, la protection du sol assurée par la forêt disparaît. Les sites déboisés, surtout s'ils occupent plus de quelques hectares, subissent une érosion accélérée, dès qu'ils sont exposés à de fortes pluies.

La vulnérabilité du sol à l'érosion est déterminée par la superficie de la zone défrichée et la méthode utilisée. Si l'éclaircie est petite, de superficie inférieure à 2 ou 3 hectares, et si elle reste entourée par la forêt, la végétation réapparaîtra rapidement, et la perte de sol par érosion sera minime. Si la superficie est plus grande, le sol s'appauvrira rapidement en nutriments et subira davantage les effets de l'érosion. Mais même une petite ouverture peut occasionner de forts écoulements superficiels et provoquer des phénomènes érosifs si elle est pratiquée selon des méthodes très perturbatrices.

Le défrichage de la forêt par les méthodes traditionnelles et manuelles entraîne une érosion du sol moins grave que le déboisement par des moyens mécaniques, notamment avec des béliers d'abattage.
La méthode de défrichage qui provoque le moins de ruissellement et d'érosion est la méthode traditionnelle, qui ne fait appel qu'à la machette et à la hache ; la plus agressive est celle qui fait appel au bélier d'abattage et au râteau déracineur. Les taux d'érosion sont directement fonction de la végétation qui reste sur le site après défrichage. Les méthodes traditionnelles laissent en place les souches et ne touchent pas aux systèmes racinaires, tout en dérangeant relativement peu la litière forestière; si la pleine protection assurée par le couvert forestier a disparu, les racines continuent de maintenir le sol, et la litière fait écran à l'impact des gouttes de pluie. Les béliers d'abattage défrichent le terrain en faisant basculer les arbres et en arrachant les racines. Après défrichage, il ne reste qu'une étendue sans racines, pratiquement sans litière, et la surface du sol est profondément perturbée.
 Le défrichage avec les engins modernes provoque un ruissellement et une érosion graves, avec un ruissellement près de 70 fois supérieur et une perte de terre multipliée par un facteur de 1700 par rapport au défrichage traditionnel.

Nota : Une route de 5 m de large sur 200 m représente 1000 m/carré, sur 2 km cela représente 1 hectare, sur 20km = 10 hectares, etc.. Il est parfois préférable de bien réfléchir au rapport : utilités/conséquences à long terme dans la réalisation des moyens de gestion des réseaux de communications et de développement des territoires. La question est de déterminer la limite entre développement économique et technique, et la conservation du « capital » qu’est notre écosystème.
 
C – définition de l’agriculture itinérante :

 
Il existe plusieurs définitions de l'agriculture itinérante. Le plus souvent, on appelle agriculture itinérante tout système agricole dans lequel les champs sont défrichés (habituellement par le feu) et cultivés pendant une période brève pour être ensuite mis en jachère (Conklin 1957). Avec l'apparition de la théorie des agro-écosystèmes, qui inscrit les systèmes agricoles dans un écosystème naturel plus grand, la définition de l'agriculture itinérante a été repensée. La théorie des agro-écosystèmes s'efforce d'intégrer «la multiplicité des facteurs entrant en jeu dans les systèmes culturaux» (Gliessman 1985:18).

L'agriculture itinérante est une stratégie caractérisée par sa flexibilité vis-à-vis du changement, qui se distingue par la durée de la jachère, la durée de la période de culture, les techniques de gestion, etc.. Le passage d'un système de production à un autre se produit en réponse à la modification des conditions ambiantes (Beckerman 1987; Boserup 1965; Raintree et Warner 1986).

En abattant la forêt et brûlant les arbres tombés et la litière, l'agriculteur itinérant utilise un apport artificiel d'énergie qui élimine les espèces concurrentes et concentre les nutriments, pour diriger, pendant un bref laps de temps, le flux énergétique vers les cultures vivrières (Odum 1971; voir aussi Bodley 1976). Le cultivateur effectue ainsi une manipulation active d'un morceau de forêt et le convertit à une succession plus ouverte et plus utile à ses fins propres (Rambo 1981:36; voir aussi Olafson 1983:153).

D – Pratique de la jachère en milieu tropical.
 
Plus longue est la jachère, plus le sol récupère. Si l'on peut maintenir de longues périodes de jachère, le système devrait être durable. La jachère comme mode de restauration des sols est la réponse trouvée par les agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis à la nécessité de produire des vivres sans apport de fumier, engrais ou dépôt alluvial (Greenland 1974:5). Tant que la jachère est de longue durée, le système fonctionne; dès qu'elle se raccourcit, la fertilité du sol diminue.
En effet une étude qui tentait d'établir un lien entre l'utilisation faite des parcelles et la fertilité des sols a permis d'observer que la fréquence d'utilisation avait un effet déterminant sur la fertilité. Arnason et al. (1982)
L'agriculture itinérante avec jachère est écologiquement bien fondée si la jachère forestière peut être maintenue (Moran 1981:54). La jachère est dite forestière, ou «jachère longue», lorsque les champs défrichés et ensemencés sont ensuite livrés à eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils redeviennent forêt de haute futaie. Traditionnellement, c'est la forme la plus courante de jachère appliquée dans la zone tropicale humide par les agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis intégrale. Quand les champs sont de petite taille, comparables à des clairières spontanées dans la forêt, ils récupèrent et se régénèrent rapidement. La forêt environnante approvisionne le site en graines et semences, et le protège (comme elle protégeait le champ) des vents et de l'érosion (UNESCO/PNUE 1978:476). Les essences de la forêt dense humide sont incapables de se régénérer en dehors du milieu forestier. En ne cultivant que des petits champs noyés dans la forêt originelle, l'agriculteur pratiquant la culture sur brûlis intégrale gère en quelque sorte activement la régénération de la forêt (Clarke 1976:250; Gomez Poma et al. 1972).
 
Le temps de jachère est proportionnel à la surface déchiffrée et cultivée, mais également aux types de culture employée.
Des cultures ne produisant que peut de biomasse allongeront le temps de jachère et inversement des cultures produisant beaucoup de biomasse, limiteront les éventuelles érosions par les pluies, fixera plus rapidement les nutriments et favorisera la revégétalisation.
L'agriculture itinérante semble être la méthode la plus efficace de s'accommoder des réalités écologiques de la forêt tropicale  (Cox et Atkins 1979)
 
 




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