Les dix commandements
du Pape François

1. Tu sortiras le monde de l'indifférence
«La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir»
«Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à la planète que depuis ces deux derniers siècles»
Le diagnostic du pape sur «l’intensification infinie des rythmes de vie et de travail» est impitoyable: des modes, devenus déments, de production, de distribution et de consommation se traduisent par une détérioration constante de l’environnement, par une qualité de vie qui se dégrade, par une croissance «démesurée et désordonnée» de grandes villes désormais insalubres, par une rupture des liens d’intégration, une exclusion et une fragmentation sociale, un accès à l’énergie inégal, de nouvelles formes de violence et d’agressivité sociale.
Le pape souligne en particulier le lien entre la dégradation de l’environnement et le drame très actuel des migrants :
«L’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère est tragique. Ces migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les conventions internationales et ils portent le poids de leurs vies à la dérive, sans aucune protection légale. Malheureusement, il y a une indifférence générale face à ces tragédies. Ce manque de réactions est un signe de la perte de ce sens de responsabilité à l’égard de nos semblables, sur lequel se fonde toute société civile».
Les solutions concrètes à la crise environnementale existent. Mais, déplore le pape, elles reculent devant «la mondialisation de l’indifférence», devant la coalition des intérêts les plus puissants, devant «la résignation facile», devant la confiance aveugle dans le progrès indéfini et une croissance durable et profitable qu’il tente de démystifier.


2. Tu lutteras contre le réchauffement climatique
«Si la tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait être témoin de changements climatiques inédits et d’une destruction sans précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences pour nous tous. L’élévation du niveau de la mer, par exemple, peut créer des situations d’une extrême gravité si on tient compte du fait que le quart de la population mondiale vit au bord  de la mer ou très proche, et que la plupart des mégapoles sont situées en zones côtières».
Le réchauffement climatique est donc bien la plus grave menace qui pèse sur la planète. Le pape règle leurs comptes aux «climato-sceptiques». Pour lui, le doute n’est pas permis : le réchauffement est dû à l’activité humaine, à la trop grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane notamment), à l'«utilisation intensive» de combustibles fossiles «qui constitue le cœur du système énergétique mondiale», à la déforestation. Le pape prend position pour un accroissement des sources d’énergie alternatives et renouvelables. Face au risque de remise en cause des écosystèmes, l’humanité est appelée, dit-il, «à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent et l’accélèrent».


3. Tu approvisionneras en eau la terre entière
Tu approvisionneras en eau la terre entière :
«L’accès à l’eau potable et saine est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes et qu’il est, par conséquent, une condition pour l’exercice des autres droits humains».
Conséquences du réchauffement climatique, les épisodes plus nombreux de sécheresse et l’épuisement des ressources en eau et autres ressources naturelles font partie des menaces les plus graves. Le pape consacre de longs développements aux difficultés d’approvisionnement en eau potable de populations du globe parmi les plus déshéritées. Pour lui, le monde a une «grave dette sociale» envers ces populations qui ne disposent pas de ressources en eau, parce que «c’est nier leur droit à la vie enraciné dans leur dignité inaliénable». A échéance de quelques décennies, les pénuries et la bataille pour le contrôle de l’eau risquent de précipiter le monde dans l’un des plus rudes conflits de ce siècle. François manifeste une inquiétude également vive pour la pollution marine, les risques d’extinction de la biodiversité et il met en cause en particulier la déforestation, les monocultures agricoles, les déchets industriels et les «méthodes destructives» de la pêche.


4. Tu remettras au centre la place des pauvres
«Lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait de la nourriture à la table des pauvres.»
«Il faut écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres.»
Le niveau actuel de consommation des pays développés et des secteurs les plus riches de la société se traduit par «une habitude de dépenser et de jeter qui atteint des niveaux inédits». Mais le pape ne s’attaque pas seulement au gaspillage et à l’utilisation égoïste des ressources de la planète. Il désigne les principales victimes : les pauvres.
Epousant ainsi les thèses des «altermondialistes», il montre que les luttes pour la défense de la planète sont indissociables des engagements contre les inégalités économiques de développement. C’est la force de son encyclique : «Une vraie approche écologique ne peut se dissocier d’une approche sociale». Contre un certain discours «vert», il rappelle que le souci de la justice internationale doit être au cœur de toutes les discussions sur l’environnement.
«Les limites maximales d’exploitation de la planète ont été dépassées, sans que nous ayons résolu le problème de la pauvreté. Les exclus sont la majeure partie de la planète. Ils sont présents dans les débats, mais il semble que leurs problèmes se posent comme un appendice, comme une question qui s’ajoute presque par obligation ou de manière marginale, quand on ne les considère pas comme un pur dommage collatéral».
Les décideurs, les centres de pouvoir, les moyens de communication sont situés loin d’eux, dans des zones urbaines isolées, sans contact direct. Ils vivent et réfléchissent «à partir de la commodité d’un niveau de développement et d’une qualité de vie qui ne sont pas à la portée de la majorité de la population mondiale». Ce manque de contact physique et de rencontre aide à «tranquilliser les consciences» et à «occulter une partie de la réalité par des analyses biaisées».

 
Une vraie approche écologique ne peut se dissocier
d’une approche sociale

5. Tu combattras le mythe du progrès infini 
«Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane».
Le pape dénonce ainsi «l’omniprésence du paradigme technocratique» selon lequel tous les problèmes environnementaux seront, un jour, résolus par la croissance durable et les progrès de la technologie. On n’en a pas fini, écrit-il, d’examiner les racines profondes des dérèglements actuels, liés à l’orientation, aux fins, au sens et au contexte social de la croissance. En effet, la science et la technologie ne sont pas «neutres». Elles visent à la constitution de profits, sans attention suffisante aux conséquences négatives. Le résultat est qu’on aboutit à la fois, dans les parties riches du monde, à un «surdéveloppement, où consommation et gaspillage vont de pair», et, dans les parties pauvres, «à des situations permanentes de pauvreté et, malgré les programmes sociaux, à une misère déshumanisante»
Pourtant, la confiance naïve dans la croissance indéfinie et le progrès technologique écrase toute la réflexion économique et politique. Le pape ironise sur ceux qui pensent que la seule croissance du marché finira par résoudre tous les problèmes de la faim et de la misère. «Le marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral, ni l’inclusion sociale», écrit-il. Le développement intégral passe par la lutte en faveur d’une juste dimension de la production, d’une meilleure répartition des richesses, d’une sauvegarde responsable de l’environnement et les droits des générations futures.


6. Tu résisteras à la toute puissance
«Tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformé en règle absolue ».
«Pourquoi veut-on préserver aujourd’hui un pouvoir qui laissera dans l’histoire le souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de le faire?»
Pour le pape, la détérioration de l’environnement et la dégradation humaine et éthique sont intimement liées. Il se montre très critique envers des pouvoirs économiques et politiques qui continuent de défendre un système ultralibéral «où priment la spéculation et une recherche du profit financier», indépendamment d’une réflexion sur les impératifs de l’environnement. Pour lui, les leçons de la crise mondiale n’ont pas été retenues et les finances étouffent l’économie réelle. Les «sommets mondiaux» pour l’environnement échouent parce que les pouvoirs financiers résistent et que les projets politiques «manquent de hauteur de vue».
La soumission des responsables politiques à la technologie et aux finances est responsable, selon François, des retards pris à tirer les leçons de la détérioration de l’environnement et adopter
Il est fondamental de chercher des solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature».

Il n’y a pas deux crises séparées,
l’une environnementale et l’autre sociale,
mais une seule

7. Tu entreras dans la logique du don gratuit
«Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planète aux générations futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit que nous recevons et communiquons. Si la terre nous est donnée, nous ne pouvons plus penser seulement selon un critère utilitariste d’efficacité et de productivité pour le bénéfice individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude optionnelle, mais d’une question fondamentale de justice, puisque la terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront».
Pour le pape, la crise écologique est une manifestation de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la «modernité». On ne peut pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement, dit-il, sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain. On ne peut pas résoudre la crise écologique sans une réflexion profonde sur le développement de l’être humain et ses valeurs. On ne peut ignorer que le monde de la consommation exacerbée est en même temps celui du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes et l’écologie intégrale suppose de rompre «avec la logique de la violence et de l’exploitation».
«Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon [le pape est contre l'avortement] humain, d’une personne vivant une situation de handicap, on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié».


8. Tu favoriseras la transition énergétique
«Tant qu’il n’y aura pas un développement conséquent des énergies renouvelables, développement qui devrait être déjà en cours, il est légitime de choisir le moindre mal et de recourir à des solutions transitoires».
Pour le pape –qui ne fait pas d’allusion directe à la prochaine conférence de Paris–, un consensus mondial est urgent, visant à développer des formes d’énergies renouvelables et peu polluantes, à promouvoir un meilleur rendement énergétique, à développer une agriculture diversifiée, une gestion plus adéquate des ressources forestières et marines, à assurer l’accès à l’eau potable pour tous. Il souhaite, en particulier, le remplacement progressif, «mais sans retard», de la production énergétique basée sur les combustibles fossiles très polluants comme le charbon, mais aussi le pétrole et le gaz.
«La politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être à la hauteur des défis mondiaux. Alors que l’humanité de l’époque post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités »
Ceci est un vœu pieux pour le pape qui dénonce les obstacles à cette transition énergétique, l’impuissance de la communauté internationale à trouver des accords suffisants et à désigner ceux qui doivent supporter les coûts de cette transition. L’économie et la finance transnationales tendent à prédominer sur la politique, regrette-t-il. Dans ce contexte, la maturation d’institutions internationales devient indispensable. Celles-ci doivent être plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées par accord entre les gouvernements nationaux et dotées de pouvoir pour sanctionner.


9. Tu accepteras une certaine décroissance
 «Face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra penser à marquer une pause, en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard.»
Le pape est trop soucieux des inégalités de développement et du sort des pauvres pour préconiser, comme le font tant d’écologistes, une société de «décroissance». Mais il connait trop –et dénonce– le discours de la croissance durable devenu «un moyen de distraction et de justification pour enfermer les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit souvent à une série d’actions de marketing et d’image».
Le comportement de ceux qui consomment et «détruisent» toujours davantage n’est plus soutenable, alors que d’autres ne peuvent pas vivre dignement. Aussi, le pape assure-t-il que «l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties». Autrement dit, les sociétés technologiquement avancées devraient favoriser des comportements plus sobres, réduire leurs besoins en énergie et améliorer les conditions de son utilisation.

 
Il faudra penser à marquer une pause

10. Tu chercheras à promouvoir une «sobriété heureuse»
«La crise écologique est un appel à une profonde conversion écologique et intérieure.»
«Dans la Bible, tout est lié et la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres.»
L’encyclique du pape François entend mobiliser les croyants et non-croyants à la conversion écologique. Selon le récit biblique de la Genèse, rappelle-t-il, les hommes créés à l’image de Dieu auraient reçu pour mission de «dominer» la terre et les autres créatures. Mais «dominer la terre» ne veut pas dire favoriser l’exploitation sauvage, dire que l’homme est un être «dominateur et destructeur». Ceci repose sur une fausse interprétation de la Bible et de la pensée judéo-chrétienne. La mission de l’homme est, au contraire, de «cultiver et garder la terre», c’est-à-dire de protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller la nature. Il y a une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Cela implique un changement radical de nos modes et styles de vie.
Le pape s’adresse en particulier aux chrétiens faiblement mobilisés par les urgences de l’environnement ou qui peinent à changer leurs habitudes. Il les invite à prendre leur part aux efforts pour protéger la nature et mener une vie de «sobriété heureuse», selon la formule du militant écologiste et écrivain français Pierre Rabhi. Pour lui, la spiritualité chrétienne propose une croissance «par la sobriété et une capacité de jouir avec peu». Rappelant François d’Assise, François propose un retour à la simplicité de vie, «celle qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs».

 
Source: https://www.slate.fr/source/henri-tincq

Retrouvez l'encyclique complète à télécharger :
 

 




Créer un site
Créer un site